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Coul, de l'oral à l'écrit .
Pour que les savants continuent d'étudier le problème de la communication écrite démocratique

Il y a une trentaine de phonèmes et ... 133 graphèmes selon Nina Catach.
Tout le monde comprend aussitôt pourquoi ce sera dur d'écrire sans faute.

Prenons comme exemple, et pas le pire, le phonème [in] :
7 phonogrammes et 4 variantes
          in   ain    ein en   yn  un eun
          im  aim                ym  um

Dans le sens de la lecture, on s'habitue

1- Le contexte de la phrase (par ex " le mouvement des lycéens inquiète le gouvernement ") et de modestes habitudes de lecture suffisent pour éviter l'erreur d'aiguillage.
2 - Ceci vaut pour " à jeun ". Grâce à la sécu, on a certainement eu droit à ce mot un triste matin d'analyse de sang sans p'tit déj'. On ne confond certes pas " à jeun " et pratiquer le " jeûne "

Mais dans le sens de l'écriture, c'est l'horreur !
Ce n'est pas la faute des savants qui essaient de mettre un peu d'ordre dans ce qu'ils observent. Et cette théorisation est sans doute la meilleure qu'on nous propose. Mais c'est tout sauf une baguette magique.

écriture ---------------->
[in] ................................. ?
                                     in , ain, ein, ... les 7+4


Selon quelles lois ? Oh certes, il y en a. Plein. A chaque graphème, on peut même dire que c'est le ...trop plein.
Supposons que nous ayons déjà appris l'orthographe de cette plante connue qu'on appelle rhododendron. On a admis pour elle le [in] de lycéen. On conclura sans doute très vite, par analogie, que cette autre fleur un peu moins connue, que nous écrivons d'abord phonétiquement [ filodindron], a adopté probablement la même façon d'écrire [in]
..... Et reste à régler le sort de tous les autres phonogrammes [f] f ou ph , [i]  i ou y , [l] l ou ll   ? ? ?
On fouille dans son bagage culturel des familles , mais sera-ce plutôt philosophe ou phylloxéra ?

En réalité, cette démarche est très lourde pour apprendre l'orthographe de façon " raisonnée ".
Tous les pédagogues rêvent de faire raisonner les élèves. Mais souvent, ils se plantent. Parce que les " mauvais " n'arrivent pas à raisonner comme eux ; et les " bons ", qui apprennent vite, ne raisonnent surtout pas comme ça !. Ils apprennent selon des processus mentaux encore largement inconnus, hétéroclites, probablement variables selon les individus. Puis fournissent du " raisonnement " à la demande. C'est un jeu de connivence entre bons élèves et bons maitres. Mais c'est un jeu de dupe pour les exclus ; et sans doute pire, dans l'avenir " citoyen ", qu'une franche lutte sociale.
En tout cas, quand la connivence n'a pas joué, les exclus, qui doivent gérer, à perpétuité, de façon " raisonnée ", le fatras inextricable, ont le droit, en république, quand l'école est finie, de " raisonner " de façon critique.
Ils ont deux mauvaises nouvelles à affronter, qu'ils connaissent d'ailleurs très bien.
La première, c'est qu'on n'écrit pas phonétiquement. Il y a plein d'informations dans l'écriture qui ne font pas de bruit, il y a plus de phonogrammes que de phonèmes , c'est la même chose à vue de nez. Il ne reste plus qu'à choisir sa meilleure façon de vivre l'impitoyable complexité.

Soit pin et pain
Ils ne s'écrivent pas de la même façon parce qu'on risque de les confondre, c'est la raison invoquée. :
il coupe le (       ) , il coupe le (       ) ? Donc ,     pin      et       pain , l'un avec le phonogramme in , l'autre avec le phonogramme ain . Mais on n'a pas choisi n'importe lesquels dans le magasin. Il faut connaitre les belles histoires de pin et pain pour choisir. Pain comme paix avec une lettre de famille ; deux familles bien vivantes : panifier ; pacifier . Mais de semblable façon, pin fait pinède. La seule différence entre le a de paix et celui de pain, c'est que les informations de sens et de " son " contenues dans ai se superposent dans un graphème absolument indécomposable.
L'écriture est un mélange inextricable de phonogrammes et d'idéogrammes, écrits avec les mêmes lettres de l'alphabet. Ceci est la vérité essentielle.
Il vaut mieux essayer de prendre du plaisir avec, car c'est le meilleur remède pour la mémoire. D'ailleurs, c'est en apprenant les mots dans des bains d'émotion qu'on atteint la perfection. Vu à la télévision : l'intellectuel de grand renom, confronté au risque de la réforme, protestant qu'en remplaçant le ph de éléphant par un f, on allait ruiner son " imaginaire ". Les " imaginaires " des lettrés sont des sites classés : c'est le grand progrès de l'homme depuis les pharaons.
Affronter l'ordre du langage ne relève jamais d'une logique de bon sens. Le mythe étymologiques du " vrai sens " des mot soulève encore l'enthousiasme. On peut craindre toutefois que celui, un peu scientiste, tel qu'il est communément récupéré, des 133 graphèmes ( bientôt renforcés de quelques autres venus d'outre Atlantique), fasse moins rire. Quoi qu'il en soit, et quelle que soit l'euphorie qu'on se donne, tout le monde se rend bien compte que le système, de toute façon, est tellement compliqué et rempli d'exceptions, dont les savants eux-mêmes se demandent à chaque fois si c'est du lard ou du cochon, ( peut-on se débarrasser ou non de celle-ci ou de celle-là, ne cacheraient-elles pas des vérités structurales cachées ?), qu'il vaut mieux, comme d'habitude, apprendre les " mots d'usage " au coup par coup, si possible avec de l'émotion contextuelle. Il faut se garder de prendre toute nouvelle méthode trop au sérieux ; les vrais savants d'ailleurs n'en demandent jamais tant. Ils savent, eux, que la science doit continuer encore très longtemps son oeuvre patiente.
Il y a sans doute encore en effet des régularités cachées ( fonctionnelle ; ou de hasard qui s'est fonctionnalisé, car les " hommes de paroles " sont très bricoleurs). Les savants les recherchent du côté de système proprement dit ou du côté, psycho-linguistique, des conditions de son apprentissage.
Quand on est imbibé du système (quand on est lettré ; le contraire d'illettré ?) , on est conduit inconsciemment dans ses comportements linguistiques par les régularités cachées. C'est pourquoi il ne peut être question de simplifier à coups de hache. Mais c'est pourquoi aussi il est scandaleux que le " sentiment de la langue écrite "des lettrés soit projeté sur les débutants et les illettrés comme des vérités platoniciennes.
Ou bien on connait scientifiquement les lois fonctionnelles, et on en a déjà tiré et expérimenté des techniques d'apprentissage efficaces adaptées aux publics qui peinent, ou bien on est pragmatique et modeste. Et on le dit.

La deuxième mauvaise nouvelle, c'est que les phonèmes aussi c'est compliqué

phonème

C'est un son, mais un son particulier, propre à telle ou telle langue, reconnu comme son de cette langue par ceux qui la parlent.
On ne dit pas phonème au lieu de son par snobisme, mais parce que ce n'est pas du tout comme une note de musique, ce n'est pas le " juste son " ; au contraire, c'est un zone de son où les pratiquants d'une langue reconnaissent un de leurs sons, jusqu'à une certaine frontière où le phonème bascule dans le phonème d'à côté.
Ainsi, on ne peut absolument confondre, à l'oreille, une m(ou)le et une m(u)le. Pas non plus une (p)oule,
une (f)oule, une (b)oule et une (m)oule. (Nous reprenons avec d'autres mots la démonstration de Martinet, pour lequel nous reformulons notre pub'. En insistant ici sur le fait que cette façon de commuter les "sons " pour savoir à quel moment ils font basculer un mot dans un autre est la méthode même utilisée par les linguistes pour découvrir les phonèmes. Cette information est donc à la fois une connaissance pratique et un savoir scientifique vulgarisé. Martinet était un merveilleux vulgarisateur)
On n'a jamais vu que la confusion des deux sons [A], [a] et [â] (soigneusement préservés par le système officiel ; mais considérés par Catach et beaucoup d'autres comme n'ayant quasiment plus de rôle distinctif ) ait précipité la moindre ménagère malienne de moins de cinquante ans, mais mal alphabétisée, dans le service des grands brulés de hôpitaux après avoir écouté sa voisine, beur de la seconde génération, lui lire cette recette de cuisine :
" Plongez vos[pat] dans l'eau bouillante. "
Tout le monde sait bien, sans jamais y avoir réfléchi, que la distinction [ a - â] (comme [in - un] presque partout en France ) a disparu.

Pourrait-on en dire autant de [ o - ô - eu - e ] qui n'arrêtent pas de créer des embrouilles ?
Dans le sens de la lecture, ça ne se remarque pas, comme de bien entendu. Imaginons quelqu'un qui lit et dit rhododendron. Il y a peu de chance qu'il prononce le en comme [an], on l'a vu ; et pourtant ! Par contre, s'il articule les o comme ceux de toto (alors qu'ils doivent être " ouverts " (le o de robe et or n'est pas celui de dos et chevaux (Larousse de poche p.721), eh bien, personne ne le remarquera. La prononciation officielle des o de rhododendron est ouverte, c'est ainsi ; il faudrait obéir. Mais tout le monde s'en moque. Mais est-ce qu'un potimarron est un petit marron ou un petit rond potiron ? Là, branle-bas de combat! On a besoin de ces phonèmes, pour injecter ce mot nouveau, c'est à dire ce légume nouveau qui plait aux gastronomes avertis, dans le système, sans qu'il se confonde avec d'autre légumes qu'il a de sérieuses chances de fréquenter dans la conversation. Et chacun tend à dire potimarron avec un o bien distinctif
 .... et rhododendron comme il en a envie
 .... et personne avec le e de petit
Les gens les plus instruits ne s'aperçoivent pas de la façon dont ils parlent. Mais les gosses s'en aperçoivent très bien quand ils essaient d'écrire. Ils écrivent "perseune " et "pem "(pomme). On leur dit de faire attention, d'écouter mieux. Alors forcément, après, ils écrivent " roquin " ....Et après, ceux qui se révoltent écrivent sur les murs : " nique tamére toute les méf des saleupe ". Comment, du reste, écrit-on reblochon chez Leclerc à 500m ? (doc. sur demande ; le tag lui a disparu avec la cité passée au bouldozeur)

Autre document tiré d'un lieu très différent ; une illustration plaisante de la revue La Recherche (doc. sur demande)
" Ch'ais pas " alias " Je ne sais pas "
Cette déformation résulte inéluctablement de la disparition du ne de la négation dans la conversation courante :
je ne sais pas >> je sais pas >> j'sais pas >> chsais pas >> chais pas
Et la preuve est là : on parle comme ça dans toutes les couches sociales. Mais il n'y a pas de confusion avec cette autre expression :
" J'ai pas " alias " Je n'ai pas "
Il n'y a pas de trace à l'écrit cependant de la nouvelle et seule différence qui change, à l'oral, le sens des deux énoncés :
(j) et (ch) . On constate ici que la langue orale et la langue écrite divergent vraiment.
Les deux phonèmes (j) et (ch) n'en sont pas moins en parfait état de marche (Quand quelqu'un a des troubles avec eux (troubles orthophoniques), ça se remarque tout de suite. La preuve qu'ils sont opérationnels, c'est justement qu'on peut s'en servir pour distinguer deux idées distinctes (" je n'ai pas ", " je ne sais pas "), de la même façon qu'on ne confond pas "pierre" et "bière".(Cf. Martinet)
Autres exemples de cette excellente qualité du couple :
La voiture est rentrée dans les gens <---> champs
Je me méfie des chênes <----> des gènes des o.g.n.
Il va finir par déchanter <----> déjanter

C'est parfaitement conforme à la théorie ; c'est la définition même du phonème. La distinction entre les phonèmes se maintient quand leur rendement est suffisant. Sinon la flemme (pardon, l'économie !) l'emporte et finit par faire disparaitre la distinction. Quitte à en rétablir d'autres, ou les mêmes, en cas de besoin, selon les besoins de communication à propos des choses que l'on connait. Pendant ce temps, une distinction moribonde peut ne pas avoir disparu de certaines têtes (généralement plus vieilles têtes) , et comme un phonème est une " zone de son " et non un " juste son ", alors les vieilles oreilles des vieilles têtes entendent encore des différences là où les jeunes n'entendent plus rien. Et c'est à ceux-ci qu'on fera des reproches ; alors qu'ailleurs on laisse filer l'essentiel. Ce n'est pas davantage un reproche : la langue orale évolue partout inéluctablement, et sans doute utilement. Mais il faut s'écouter mutuellement et respectueusement (" respect ! ").

D'autre part, les citoyens doivent se mobiliser pour exiger qu'on sauve l'écriture du français dans son essence même, c'est à dire en ce qu'elle permet, si tarabiscotée soit-elle, un rapport direct à l'oral. Ce qui exige tout simplement qu'on pratique régulièrement les réformes nécessaires, ainsi que ça a toujours été fait.( l'Académie en a encore été capable en 1990 . Qui l'eût cru ? ... Mais qui le sait ?)

 

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