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B-a ba, bain, baignoire
et l'eau du bain en 2006

pour   contre


Méthode syllabique obligatoire ! Il fallait que ça arrive. Vox populi.

On ne prendra même pas parti sur le niveau qui monte ou qui baisse. Les avis compétents sur ce sujet se contredisent. Il n'est certainement pas facile de faire des études comparatives, tout ayant changé dans la société.

On s'arrêtera par contre sur deux vérités incontestables et permanentes :

1- Toutes les écritures sont composites (on dit polysystémiques). Quand elles sont alphabétiques, comme la nôtre et la plupart, leurs lettres ont un rapport direct avec les sons (en rouge) (ils sont tous dans le bain -> i, l, s, on, t, ou, s, d, an, l, e, b, in) et/ou direct avec le sens (en bleu) (ils sont tous dans le bain -> s, nt ne produisent aucun son, mais directement du sens (3e p. du pl.) ; le a de bain, qui est intriqué au phonogramme ain, renvoie à une « famille » de mots où le phonogramme a de « balnéaire » affiche sa vieille noblesse ; quant à « dans », homonyme de dent, toutes ses lettres font bloc et, qu'on nous pardonne, la lecture de ce mot est très vite... globale, même pour de médiocres lecteurs). Il parait que l'écriture du chinois obéit à ces principes, elle a des signes phonétiques. L'espagnol, par contre, est beaucoup plus phonétique que le français, ou l'anglais. Le dosage est différent, mais la loi est universelle.

2- La pratique sociale de l'écriture est dissymétrique. Il est toujours plus facile de lire qu'écrire (sans faute). Et moins l'orthographe est phonétique, plus l'on fait de fautes, cela va de soi.

A partir de quoi nous dirons, dans un raccourci fulgurant parfaitement obscurantiste, que toutes les méthodes d'apprentissage sont bonnes si elles permettent à tous de lire ... et d'écrire.

Mais aucune n'y parvient. C'est un scandale. L'exclusion d'une partie quelconque de la population de la parole écrite est insupportable, injuste, et dangereuse dans l'ambiance actuelle de dégradation du « lien social », calamiteuse et fumigène.

Pour gagner le droit à la « parole écrite », donc, tous les moyens sont bons. A l'école, va pour la méthode syllabique si elle s'engage à aller jusqu'au bout ; et pas seulement jusqu'aux prochaines élections. Le bout, l'achèvement, l'apothéose, c'est cet état merveilleux d'osmose dans le cerveau de tout ce qu'il faut maitriser pour écrire sans faute (et, éventuellement, lire vite).

Mais tous les moyens, c'est au moins :

1- La confiance en soi au CP et au CE1 pour supporter sans faiblir qu'après b,a ba, il y aura autre chose, et autre chose encore, et encore autre chose ; ainsi indéfiniment jusqu'à l'illumination : mais c'est bon sang un polysystème !

2- D'où la vérification tout au long du parcours, par le corps enseignant, que l'enfant maitrise progressivement la lecture et ... l'écriture. On nous permettra d'insister lourdement (et de prendre date pour dans vingt ans, si on est encore vivant). Ceci, au moyen d'exercices systématiques sans fantaisie excessive, on le veut bien, on n'est pas là pour rigoler.

De toute façon, bonjour les corrections ! De ce côté du problème, sans doute faut-il envisager aussi une plus rude discipline : des notes professionnelles au rendement dans une concurrence libre et non faussée.

Et dans vingt ans, si les résultats déçoivent une fois de plus, cette fois, il n'y aura plus de repli démagogique possible. On envisagera une simplification de l'orthographe : sur quels autres paramètres sinon agir, tous ayant été usés ? Il faut que la concurrence avec les Espagnols, les Italiens... et les Turcs qui ont fait jadis une réforme radicale et qui pourront être bientôt des nôtres soit libre et non faussée.

la réforme actuelle

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Et nous laissons là l'ironie désespérée pour nous installer résolument dans la politique.
Ça ne date pas d'hier que des instituteurs se révoltent contre l'échec scolaire. Ces militants bizarres existaient déjà au temps où l'avenir semblait pouvoir devenir radieux. C'est dire si dans un monde mécanisé, bientôt informatisé et inéluctablement globalisé, leur désespoir a pu grandir : ceux de leurs élèves qui « ne réussissent pas à l'école » ne pourraient même plus devenir ouvriers après leur « fin d'études ».
Les militants pédagogiques, toutefois, n'étaient pas forcément vaniteux. Ce qui fait qu'aujourd'hui les survivants n'aiment pas trop qu'on les insulte. A l'époque, ils imploraient la formation continue et le débat professionnel sur les méthodes en général et leurs petites innovations en particulier. En attendant, faute de mieux, ils lisaient. Par exemple ceci ( pour commencer par le début) : les sons du langage ne sont pas un « collier de perles »

un collier de perles

Après pareille lecture, iriez-vous vous laver les mains dans la méthode Boscher ( ou même le bienveillant Sablier québécois) ?

Malgré l'oukaze -ou l'ukaze [ukaz] (russe oukaz)-, on vous renvoie par conséquent aux innombrables sites qui traitent de l'actualité de ces questions (il faut profiter du remue-ménage); et tiens, pour montrer qu'on n'est pas sectaire, ces explications détaillées et illustrées d'un adhérent de l'association «sauvez les lettres » "l'apprentissage de la lecture pour les élèves de primaire" conférence en 2002 .

Mais vingt, trente ou quarante ans plus tôt, dans les auto-recyclages de bric et de broc, n'importe quel professionnel comprenait déjà qu'on ne pouvait pas donner le même statut dans le b,a, ba aux consonnes occlusives et aux constrictives. Les manuels à la mode, eux, n'en savaient rien. Le chien « bobi bo trotte » dès la 2e leçon (en plus, le nez dans son o ouvert ou fermé) et, dans la 3e, son maitre aussi « trotte te dans la ferme me » (sans doute un mas provençal).
C'est alors, en effet, que des vents puissants se sont mis à souffler ; que, par modestie, les militants pédagogiques ont écoutés. Mais c'étaient des vents opposés. Il y eut Thimonnier et ses mille règles d' «orthographe raisonnée », avec sa graphonie en prime, ortho...phonographie concurrente d'un alfonic phonologique soupçonné de vouloir étrangler ... l'orthographe ; à l'inverse, Foucambert, globaliste à n'en pas douter, qui prétendait trancher le noeud gordien ... surtout sans y toucher ... A quel saint se vouer ?


En tous domaines, pour le bac à 80% comme pour le A380, quand on veut changer vraiment, il faut accumuler des forces. On n'ira pas jusqu'à dire que le changement qualitatif procède toujours de changements quantitatifs, mais il y a quand même de ça. Disons, toujours aussi modestement, que les théoriciens ont besoin des praticiens pour ne pas délirer, mais que les praticiens doivent être imbibés de connaissances et d'expériences pour faire éclore les bons savoir-faire. Quand L.Legrand eut théorisé cela dans sa proposition d'un système national d'innovation contrôlée, l'espoir fut immense ... Et aussitôt enterré. Pourquoi ?
La réponse est économique, sociologique et politique.
Si Galilée, en son temps, était resté tout seul avec sa pensée géniale, ce sont les prélats de l'église qui auraient eu raison de le condamner parce qu'en effet ses preuves étaient insuffisantes, et ça ne valait pas le coup de bouleverser, pour le plaisir d'une théorie, l'ordre social. Heureusement, d'autres chercheurs et praticiens se sont mis sur le chantier et la « révolution copernicienne » eut lieu avec des succès évidents.
Au XXIe siècle, parce qu'il n'y a pas assez d'hommes et de moyens pour faire bouger le mammouth, le ministre, plus fort que les prélats, décrète que la terre est plate : c'est tout ce qu'on mérite. De deux choses l'une en effet, ou bien c'est un immense ignorant (et il faut trembler : imaginons le même genre d'individu au ministère de la défense), ou bien c'est un malhonnête qui détourne sur des boucs émissaires la colère des victimes. La seconde hypothèse, évidemment, est la bonne ; et nous sommes rassurés : nous sommes gouvernés. Le ministre est un fin politique qui suit, comme tous les autres, les sondages. C'est un prélat du conservatisme républicain sans moyens.
Pour preuve : quand des voix compétentes se sont enfin élevées (après celles un peu vaines, parce que désarmées, et pour cause, de la corporation), le ministre a tourné casaque. Il a écrit dans le courrier des lecteurs de Télérama (l'humble homme !) ... qu'il n'avait rien dit, qu'il faut travailler de son mieux comme devant, de façon équilibrée et raisonnable. Mais ce faisant, il faut bien voir qu'il ne prend plus de risque électoral. Ses imprécations étaient exactement celles des militants de l'ordre scolaire injuste, et ce sont elles qui sont maintenant dans la mémoire populaire. L'effet est devenu la cause. L'échec scolaire est devenu une horrible histoire de flibustiers de la pédagogie conduits par de méchants idéologues qui ont coulé le vieux et merveilleux bateau de l'école libératrice ; lequel naviguait jadis, toutes voiles blanches déployées, sur l'océan tranquille de l'égalité des chances.
Et où faudra-t-il maintenant embarquer pour sauver l'avenir de ses enfants ? Attendez, il y a une suite, c'est le dossier "sectorisation". Quand un secteur géographique devient un ghetto, l'école va mal ; donc, il faut désectoriser. Très joli sophisme (encore un méfait des méthodes globales ?)
N'exagérons pas, le politique est plus nuancé : il faut seulement désectoriser... un peu. Pour ce coup-là, moins bien préparé par les militants de l'ordre injuste, Gribouille ne mettra qu'un peu la tête dans la baignoire.

En attendant le déluge.


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